La boîte de Pandore
- Eric Behaghel
- 29 avr.
- 5 min de lecture
Note de conjoncture économique
Depuis le début de l’année, le CAC 40 (indice représentant la valorisation des grandes entreprises françaises) s’est apprécié de 11% dans un premier temps, avant de baisser de 16% et de regagner le tiers de cette baisse en deux séances. Cette volatilité forte est un signe que les marchés perdent leurs repères tant les annonces de ce début de 2ème trimestre sur le commerce international sont déstabilisantes, sur la forme comme sur le fond. Le but de cette lettre est d’expliquer les changements en cours.
Rétrospective du 1er trimestre 2025
L’événement clé du début de l’année en Europe a été la formation d’un nouveau gouvernement crédible en Allemagne après des élections dont l’issue était incertaine, et la modification de la constitution allemande pour relâcher le « frein de la dette » et permettre des dépenses d’investissement qui devraient relancer l’économie. Cette évolution explique en grande partie le bon début d’année des actions européennes (+13% en moyenne) à mi-février.
Annonce du 2 avril : « Liberation day »
Mais cette dynamique a été brutalement interrompue par l’annonce de droits de douane massifs, aux niveaux les plus élevés depuis 1909, alors que les échanges internationaux étaient largement moins importants qu’ils ne le sont aujourd’hui. Les marchés ont été sidérés par l’ampleur, le ton et les formules utilisées pour calculer les taux applicables aux différents pays. La Chine a riposté avec des droits de douane symétriques, tandis que d'autres, comme le Japon et l’Union européenne, privilégient les négociations.
Les partenaires commerciaux doivent évaluer soigneusement l'opportunité de riposter, car le risque économique est réel.
Droits de douanes moyens sur les importations américaines depuis 125 ans

Quel devrait être l’impact de ces droits de douane s’il n’y a pas
de négociation ?
D’après les économistes, les droits de douane peuvent être comparés à un impôt nouveau de USD 600 Mds environ, soit près de 2% de l’économie américaine (PIB). La croissance pourrait s’en trouver réduite de 2,4%, entraînant un risque de récession. L'inflation, portée par la hausse des prix à l’importation et la dépréciation du dollar, pourrait rebondir autour de 5 %, réduisant les perspectives de baisse de taux qui auraient pu stimuler l’économie.
Les licenciements liés au projet DOGE (Department of Government Efficiency dirigé par Elon Musk) et la baisse de l'immigration pourraient aggraver la situation économique. Au niveau mondial, les partenaires commerciaux des États-Unis subiront une baisse de leurs exportations, mais l'impact global sera moins sévère que pour les États-Unis. La Chine, déjà fragilisée par une crise immobilière, sera particulièrement touchée.
Au total, les perspectives pour l’économie mondiale, s’il n’y a pas de négociation, sont très moroses.
Le 9 avril, un moratoire de 90 jours sur ces mesures a été annoncé. Le résultat a été immédiat : les marchés ont regagné environ un tiers de leurs pertes en un jour. Mais l’incertitude demeure : s’agit-il d’une véritable pause ou d’un délai stratégique ?
Comprendre la logique de l’Administration américaine
Pour tenter d’anticiper l’évolution de « cette guerre commerciale », il est utile d’en comprendre l’origine. Les mesures annoncées par Donald Trump le 2 avril sont cohérentes avec les écrits de plusieurs membres de son équipe rapprochée.
J.D. Vance, vice-président américain, s’est fait connaître par son livre « Hillbilly Elegy : a memoir of Family and culture in crisis » que l’on pourrait traduire par « Ode au Plouc ». Dans ce livre, J.D. Vance décrit un monde ouvrier frappé par le chômage, la crise des opioïdes et un effondrement moral. Pour lui, la réindustrialisation est essentielle afin de recréer de l’emploi, du lien social et une dignité collective. Son programme politique mêle conservatisme culturel (famille, religion, rejet des élites), nationalisme économique (relocalisations, lutte contre l’immigration, confrontation avec la Chine) et rejet du libéralisme mondialisé. Il propose aussi une stratégie sécuritaire contre les drogues.
Peter Navarro, conseiller spécial, a exposé dans sa note « The case for fair trade » (2023) l’ampleur du déficit commercial chronique des Etats-Unis depuis 1976, qui atteint USD 1.000 Mds annuellement, justifiant ainsi un protectionnisme renforcé.
Stephen Miran, nouvel économiste en chef, défend dans ses écrits l’idée que les droits de douane sont un levier pour redéfinir du système commercial mondial.
Ces idées sont largement remises en cause par la plupart des économistes. Mais elles offrent une grille de lecture pour anticiper l’avenir de la politique américaine.
Conséquences pour les marchés financiers
Sans négociation rapide, le ralentissement de l’économie sera plus fort que prévu et la crise économique pourrait devenir une crise financière aux effets dévastateurs pour l’économie.
L’annonce de la « pause » le 9 avril réduit temporairement ce risque, mais les négociations tarifaires à venir seront décisives.
Les actions américaines doivent faire l’objet d’une analyse distincte entre les valeurs technologiques et le reste du marché. La forte baisse des valeurs technologiques depuis le début de l’année est en train de normaliser les valorisations par rapport au reste du marché.
Comme on peut le constater sur le graphe ci-dessous, la baisse récente a rapproché le multiple de valorisation du S&P 500 hors technologie de la moyenne des 10 dernières années. Ce niveau (16x) est encore élevé, surtout en cas de ralentissement fort de l’économie (et donc de baisse de la profitabilité des entreprises) mais le potentiel de baisse devient plus réduit.

L’économie européenne devrait être impactée par les droits de douane, mais dans une mesure moindre (les économistes anticipent une baisse de la croissance de 0,2% à 0,3%), et les niveaux actuels ne sont pas exagérés.
Dans ce contexte, la Banque Centrale Européenne pourrait être encouragée à baisser ses taux, ce qui devrait contribuer à relancer l’économie et encourager la performance des obligations.
En ces jours de volatilité très importante, il est utile de rappeler que la peur est souvent mauvaise conseillère : des analystes ont calculé la performance après un an d’un investisseur qui, depuis 1950, aurait investi systématiquement dans les actions après une baisse de 15% : celui-ci aurait gagné dans 85% des cas, avec une moyenne de 12%.
Pandore

Dans la mythologie grecque, Pandore est la première femme, créée par les dieux sur ordre de Zeus pour punir les hommes après que Prométhée leur ait offert le feu. Dotée de nombreux dons (curiosité, beauté, intelligence), elle reçoit une jarre (souvent appelée "boîte") qu’on lui interdit d’ouvrir. Poussée par la curiosité, elle l’ouvre et libère tous les maux de l’humanité : maladie, guerre, souffrance, vieillesse… Quand elle referme la boîte, il est trop tard.
La « pause » du 9 avril et les négociations à venir permettrontelles de remettre le « génie dans la boîte » ?
A suivre !